A la recherche de Gabrielle [Première Rencontre : Betty]

Il était là, dans les rues de la Hochsdadt. Le dos voûté, les épaules en avant, les bras ballants, qui suivaient le mouvement de son corps. Toujours cette même allure, cette même manière de marcher. Des pas lents, mais grands. Son visage pâle, ses cheveux en bataille, ces yeux cernés de noir, son allure, tout. Tout lui donnait l’air d’une sorte de zombie. Il marchait, le regard vague, vide. Et pourtant, il savait où il devait aller. Lenaïc devait La trouver. Celle qui l’aiderait peut être. Celle qu’il ne fallait pourtant pas fréquenter. Celle qui avait sans doute le plus de chance de savoir où Elle était. Celle qu’il s’apprêtait à aller voir.

C’était la nuit. Les rues étaient presque désertes. Qui oseraient se promener sans crainte à une telle heure ? La lune était déjà montée dans le ciel, et les quelques passants qu’il croisait rasaient presque les murs, comme s’il craignant que quelque chose ne vienne pour les emporter. Lui ? Lui, il s’en moquait totalement. Il ne connaissait pas les légendes locales, et il n’était pas du genre à croire à ce genre de sornettes. Pour lui, il y avait les humains, les humains, et les humains. Rien de plus que les humaines. Plutôt du genre très terre à terre. Même la technologie. On lui avait dit qu’elle était étrange, que le faux ressemblait tellement au réel qu’on ne savait pas si on parlait à un androïde, un vampire, ou à humain.

« N’importe quoi … »

A ces mots, il s’était contenté d’hausser les épaules. Un simple signe, à interpréter tout simplement comme une dénégation. Il n’y croyait pas, quoiqu’on lui dire. Il attendait des preuves, des vrais. Pas des mots. Il n’y croirait que lorsqu’il verrait pas lui-même les fameux vampires et androïdes. Voila ce qu’il avait répondu. Il venait de France, voila pourquoi il était aussi incrédule. Il ne connaissait rien de cet univers qu’était Shwefelsländer. C’était pour lui un simple pays. Un pays inconnu où s’était réfugiée Gabrielle, qu’il recherchait inlassablement. Rien de plus. Rien de moins.

Néanmoins, pour trouver La trouver, celle qui saurait peut être où Gabrielle se trouvait, il s’était éloigné de son lieu de vie pour La trouver. Lui qui avait acheté une petite maisonnette, de plain-pied, au cœur de la ville de Trockenstadt. Juste le minimum pour vivre. Pas un grand manoir comme autrefois. Il ne supportait plus les grandes maisons depuis qu’il avait vécut avec cet homme. Celui qui lui avait fait miroiter tant de choses. Celui qui l’avait retenu par le seul moyen possible. Celui qui avait abuser de sa confiance. Celui qui c’était moqué de lui. Une ombre passa dans ses yeux. Brève, furtive, imperceptible.

Et enfin, après plusieurs instants de marche, il arriva au lieu qu’il cherchait. Un bar. Il avait l’air plutôt remplit, assez joyeux aussi. C’est là qu’il était sûr de La trouver, d’après un passant. Il savait également comment la reconnaître. C’était une joueuse invétérée d’après l’homme. Cela ne le dérangeait pas. Et d’un autre côté, il la comprenait. Les obsessions, il connaissait très bien ce sujet, Lenaïc. Lui-même était obsédé par quelque chose. Ou plutôt par quelqu’un … Gabrielle. Ce mot lui était venu en tête, le plus naturellement du monde. Elle l’obsédait, il pensait sans arrêt à elle. Il la revoyait dans son esprit, aussi clairement que si elle eut été devant lui en ce moment même.

Il poussa un soupire. Il ouvrit la porte, et se mit à scruter la salle. Il devait trouver une personne très bien habillée, de vêtements aux couleurs voyantes, portant beaucoup d’accessoires, et avec de la prestance. Tout son contraire, en somme. Il trouvait cela assez … amusant. Etrange aussi. Un demi sourire naquit sur ses lèvres. Ou du moins, l’ombre, l’esquisse, d’un demi sourire. Aussi imperceptible que l’ombre qui était passé dans son regard auparavant. Il ne souriait pas beaucoup. Ce n’était pas dans sa nature.

C’est alors qu’il La vit. Cessant toute réflexion sur son cas, ou sur celui de cette fameuse Betty Cadavera qu’il désirait rencontrer, il riva son regard sur elle. Elle jouait à un jeu de carte avec un autre homme. Très étrange. Le contraste entre les deux était des plus saisissant. D’un côté, la jeune femme, avec des vêtements aux couleurs voyantes, presque criardes, et en face d’elle, un homme, sombre, étrange, entièrement vêtu de noir. Il ne put voir d’ici qui gagnait, et à vrai dire, celui lui importait peu. Tout ce qu’il voulait, c’était parlé à Betty, coûte que coûte, quoi qu’il arrive, et même s’il devait se frotter à l’homme en noir. Il n’était pas spécialement fort, très peu musclé, mais sa détermination allait à l’encontre de tout. Rien n’était plus intense … Ou peut être son obsession.

Il s’approcha de la table, négligeant les regards qui se posait sur lui, le nouveau venu, le nouvel arrivant, celui qu’on avait encore jamais vu ici. Il gardait les yeux rivés sur Betty. Elle était là. Il l’avait trouvé. Un sentiment d’exaltation s’insinua ses veines, doucement. Il aurait presque pu sourire, tant il était heureux de la trouver. Il l’aurait été bien plus si cela avait été Gabrielle, mais il était exalté de voir la jeune femme. Il savait pourtant qu’il ne devrait pas autant s’exciter. Elle pourrait très bien ne rien savoir, ou même ne rien lui dire … Mais il n’y pouvait rien. Il avait été obsédé par la divinatrice toute la journée, et alors qu’il la trouvait enfin, avec espoir de retrouver Gabrielle, il trouvait cela juste de pouvoir s’adonner à ce sentiment étrange de bonheur.

Il arriva à hauteur de la table. Il remarqua immédiatement qu’une étrange odeur flottait. Il ne put dire si c’était celle de la femme ou de l’homme. Une odeur de corps en putréfaction, à demi marquée par des odeurs fortes de parfums. Cette odeur, et l’idée de ce qui pouvait la dégager le fit frissonner imperceptiblement. Un frisson glacial, parcourant son échine brièvement. Mais juste assez pour qu’il cesse tout mouvement une seconde. Alors, nullement gêner, il s’assit à la table de celle qui avait tant cherché. Lui jetant un regard poli, il abaissa la tête en guise de salut.

« Bonsoir, mademoiselle Betty.
Pourrai-je vous parler … Seul à seul ? » Demanda-t-il alors en faisant un signe de tête vers l’homme.

Sa voix lui parut étonnement calme et posé. On n’y sentait aucunement une excitation quelconque. On aurait crut qu’il était simplement venu discuter, comme on le fait avec quelqu’un que l’on connaît. L’home ne bougea pas, attendant sans doute que la dénommé Betty lui fasse signe de partir. Insistant quelque peu, Lenaïc rajouta quelques mots, d’un ton signifiant clairement qu’il aimerait lui parler en privé de quelque chose qui lui tenait à cœur, avant de laisser à la femme le choix de lui laisser une chance ou non.

« Cela serait-il possible ? »

Le compte Rackham sentit son estomac se nouer. Il cacha sa mine décomposée derrière le peu de cartes qui lui restait. Betty, la moitié du visage également cachée derrière son jeu déplié en éventail, envoya un rictus au Compte.

Un rictus que les fidèles adversaires de la Prêtresse connaissent bien: celui de la victoire.
Betty abattit son jeu.
"FAMILLE! J'ai encore gagné..."

Un large sourire se déployait sur son visage. Un sourire dégueulasse et grossier: un sourire de petite fille.
"Si je récapitule, ça fait trois reins et un foetus pour moi et rien pour toi. dit-elle de sa voix sifflante.
On m'attend au coeur de la nuit mais...je ne serai pas contre une dernière petite partie!" et sans attendre une réponse de son adversaire, elle posa ses mains potelées sur les cartes éparpillées, les battit et les distribua.

Au même moment, un jeune garçon fit irruption dans le bar. C'était un mortel, d'une vingtaine d'année environ. Bernadette avait sentit son odeur de petit cochon de lait avant même qu'il ait franchit la porte. Tout en distribuant les cartes, Betty observa le garçon déambuler à travers les tables du bar, balayant la clientèle de son petit regard inquiet.
Il était là pour elle. Elle ne savait pas encore pourquoi, ni qui lui avait indiqué où la trouver, mais elle l'avait sentit. Et son instinct de vampire ne lui avait pas mentit pas, car quelques secondes à peine après qu'elle ait mit la pioche au centre de la table, le mystérieux garçon vint s'asseoir aux cotés de Betty et de son camarade de jeu.

L'intrusion à sa table de ce jeune homme ébouriffé et falot, comme un épouvantail de coton, ne sembla éveiller chez Betty aucune soif de chair fraîche ni aucune curiosité. Mais qui aurait put dire quel genre de fureur avait pu déclencher l'impertinence du mortel dans le cerveau de la Grandissime Prêtreese?
Betty semblait focaliser toute son attention au nouveau jeu qu'elle avait en main, jeu qui, d'après l'importante dilatation de ses pupilles, devait être excellent. Lorsque le jeune humain lui adressa la parole (il l'avait appelé par son prénom!) elle lui jeta un regard furtif.
*Aussi appétissant qu'un poil de blaireau sur une hostie.*pensa-t-elle.
Lorsque le jeune homme exigea du Compte Rakham qu'il quittât la table afin de les laisser seul à seul, Betty arracha sept cartes de la pioche et les tendit à son nouvel hôte.

"Cindy, tu nous remets deux Bloody Mary s'il te plaît, et un grand verre de lait tiède pour le jeune homme!"

C'était l'heure de jouer! Mais il ne s'agissait plus d'une vulgaire partie de cartes, non, il s'agissait plutôt d'un de ces jeux auquel se prêtent les chats, lorsqu'ils tombent sur une souris, une taupe, un moineau, un nouveau né dans une poubelle, ce genre de choses... Betty retira sa veste de velours rouge, laissant apparaître ainsi la peau rose et empoisonnée de ses épaules. Son décolleté, offrant à présent sa poitrine ronde aux regards, avait quelque chose de terrifiant. Personne n'aurait pu dire s'il faisait plutôt l'effet d'une pâtisserie, d'un piège à loup ou d'une fausse commune.

"Tu as un sacré culot de venir me déranger alors que je suis en pleine partie..."
Betty fixait à présent le jeune homme, lui adressant un sourire des plus troublants. Ses mâchoires étaient entrouvertes et l'on pouvait apercevoir ses petites dents de murène.

"Je commence. Dans la famille Nécroses Sublimes, je voudrai La Lèpre!"
Elle s'était adressé au jeune mortel d'une voix qui semblait faire.....clic clac clic clac... comme une centaines de rats courant sur un parquet ciré...

» Gabrielle Myriades / Gabriel Versteck