Mauvaise journée deviendra bonne.

"En fait, je pense qu'il nous faudrait une secrétaire un jour..."

Quelques paroles qui encore une fois ne parvenaient qu'à moitié à Stern. Il n'avait pas envie de réfléchir, et il n'avait même pas envie de discuter aujourd'hui pour être franc. Les yeux fermés, les bottes sur la table, il aurais bien fait une petite sieste, mais à ce moment là, il sentait le regard long de David.

" Ouais Ouais..."

La réponse type qu'il donnait quand il voulait se débarrasser de quelqu'un qui parlait trop. Logiquement, satisfait de la réponse, l'acolyte devrait retourner à ces occupations et Stern pourrait faire sa sieste si méritée.
Mais il sentait toujours le regard de David sur lui. Réflexion faite, Stern se demanda s'il n'aurait pas dû écouter. Pour une fois. Que pourrait demander David... Qu'une réponse positive... Ne satisferait pas entièrement ? Ça ne pouvait pas être bien dangereux, ou du moins... du moins...
Usant d'un ultime effort, il tenta de décrypter ce qu'il avait perçut comme un baragouinement, et d'en faire une phrase logique.

* Hu ne se crée terre... Une se... Une...*

" Une, une quoi ??" Finit-il par bafouiller

David le regardait avec des grands yeux ronds.

" Il n'en est pas question ! Je préfère encore qu'on reste désorganisé !
- Tu dis ça, mais je suis certain que tu seras heureux quand une gentille jeune femme te verra entrer, te sourira en te demandant si tout s’est bien passé... »

Stern en eu un frisson le long de son échine et foudroya du regard David. Ce dernier détourna la tête et continua :

" De toute façon, ta première réponse est celle que je garde : des affiches sont déjà accrochées partout…
- Quoiii ?!?"

Stern se leva d'un bon, et alla dehors. En effet, il y avait des affiches qui disaient que son bureau cherchait une secrétaire. Comment diable ne les avait-il pas vu ? Il resta paralysé quand il vit quelques jeunes filles la lire, et glousser doucement en partant. Il marcha rapidement vers l'affiche la plus proche et l'arracha, la froissa et la jeta dans l'abreuvoir le plus proche. Il réserva le même destin à l'affiche collé sur la porte de son bureau.
David arriva mollement et regarda son compagnon déchiqueté en petits confettis une troisième affiche.

" Tu comptes le faire pour chaque affiche ? Demanda-t-il en baillant
- Pour chaque affiche avant qu’elles ne soient lues, oui ! Répondit Stern d'une voix rauque et grave.
- Dommage, j'en ai envoyé à Hochstadt.
- Tu as fais quoi ?!"

Stern regarda droit dans les yeux de David qui lui répondit par un sourire. Ce dernier haussa les épaules, et ré-entra dans le bureau en s'étirant. Le grand resta seul dehors, paralysé. Il regarda sa montre à gousset, non, c'était trop tard pour la diligence... Et d'ici demain... Le visage fulminant de rage, il sera les dents. Une oreille attentive aurait pu comprendre que ces grognements disaient :

" Je te tuerais..."

Cette bonne douche froide ne donna pas d'avantage envie à Stern de dormir. Il parcourra les chemins, arrachant les affiches quand il en voyait une, et finit dans un saloon où il avait l'habitude de venir.
Le patron l'accueillait comme d'habitude, le saluant et lui servant un verre d'eau. L'alcool, c'était en fin de journée uniquement.

" Alors, comme ça tu cherches une secrétaire ? Petit coquin, tu ne m'avais rien dit !"

Le verre que Stern tenait en main explosa, et celui ci gronda, articulant chaque mot :

" Je ne cherche pas de secrétaire !!!"

Il sortit du saloon à toute vitesse, tandis que dans la salle, un silence de mort venait de s'installer. Les mains dans les poches, il continuait à marcher dans les rues, quand il arriva devant la grande place, là où il restait encore quelques restes du grand marché qui s'y était tenu, il y a peu de temps. Il soupira et se posa contre l'une des poutres où l'on accrochait habituellement les chevaux. Sa cigarette était finie, il en reprenait une autre, mais au moment de la rallumer, il grimaça : plus d'allumette.

" It's a bad day..."

Il souffla une autre fois, tandis que sa cigarette pendant de sa bouche, désespérément éteinte.

Selven était dans la situation la plus désastreuse qu'il ait jamais connu. Et c'était rien de le dire. C'était le coup classique : vous êtes le fils d'un boulanger assez crade du Quartier Bas, mais vous êtes bon à rien. Juste un pauvre gamin pas trop laid qui passe son temps à draguer les filles. Et puis un jour, ça ne rate, vous promettez à l'une d'elles de l'épouser, parce que c'est elle, là tout de suite après avoir bu un verre de trop, que vous voulez mettre dans votre lit. Vous la voulez, la blondinette. Vous promettez. Vous faites un emprunt, pour la bague. Un emprunt que vous savez pertinemment que vous ne pourrez jamais rembourser. Vous vous mariez. Vous pouvez mettre la blondinette dans votre lit. Et puis ça vous passe, vous allez voir d’autres couches. Mais vous avez toujours la dette sur le dos. Les créanciers débarquent un jour chez vous. Votre blondinette en a ras-le-bol. Vraiment ras-le-bol. Vous divorcez et vous vous retrouvez tout seul, comme un con, avec votre dette et vos créanciers. Vous magouillez, vous empruntez un peu d’argent par ici, un peu par-là. Vous multipliez vos dettes. Et vos ennemis. Vous finissez par mendier, puis voler, puis quand vous chopez le coup de main, vous braquez des banques. Vous avez de nouveaux amis, mais encore plus d’ennemis. Vous avez besoin d’amis. De vrais amis, c’est-à-dire des gens avec qui vous avez un lien solides, des gens qui ont du pouvoir et du pognon. Vous dîtes « oui » au recruteur de l’Austausch. Vous faites tout un tas de petits boulots bien crades, mais qui payent. Mais qui payent… Puis vous vous rendez compte que dès que vous essayez de prendre le large, tout coule. Vous risquez de crever d’un moment à l’autre. Vous êtes sur un fil. Vous êtes contraint. Vous devez obéir. Toujours obéir. Ou faire des exploits… Mais comme vous êtes bon à rien…
Et enfin, vous vous retrouvez là, rampant dans la poussière d’une ruelle sombre de Trockenstadt, tremblant de peur, avec l’envie de faire dans votre froc, le grand cavalier noir debout devant vous et, de chaque côté, deux hommes de mains pour vous coincer et vous empêcher de vous enfuir.

Le cavalier noir avança d’un pas légèrement claudiquant vers lui. Merde, qui c’était ce type ? Il foutait vraiment froid dans le dos. Selden se tortilla encore un peu plus dans la crasse, reculant, espérant vainement échapper au cavalier noir. Il était foutu, cette fois, foutu.
Puis le cavalier noir entra dans la lumière du réverbère. C’était une femme. Nom de Dieu ! Selden laissa échapper un bref rire nerveux.

Vielena haussa un sourcil, mais ne se départit pas de son regard glacial. Ce petit rat était en train de péter un câble ou quoi ? Elle avança d’un pas et attrapa la petite crapule par le col pour le soulever comme un fétu de paille et le poser sur ces pieds.

« Parle. »

L’absence de ton dans sa voix n’était vraiment pas un bon signe pour Selden. Mais il fallait s’y attendre…

« J-Je… J-Je… Ce n’est pas moi ! J’vous jure ! J-J’ai rien fait ! »

Cette fois ce fut Vielena qui éclata d’un rire tonitruant mais sans joie. Ses hommes sursautèrent et Selden essaya de se faire tout petit. Vielena le prit une nouvelle fois par le col, mais plus violemment cette fois.

« Te fous pas de nous ! beugla-t-elle. Alors ? C’était ma peau que tu voulais ? Pourquoi t’as tué le gamin ?

- J’voulais pas le tuer ! J’vous jure ! C’était un accident !

- Mais t’as tiré ! T’as tiré pour tuer, connard ! Sauf que t’es un minable et tu t’es raté. T’as tué le gamin ! »

Des larmes commencèrent à couler sur les joues crasseuses de Selden. Son visage déformé par la peur et ses hoquets donnèrent la nausée à Vielena.

« Je… S’il vous plait ! J’vous en prie ! J’veux pas mourir ! »

Vielena frémit de rage.

« Et le gamin ? Le gamin ? Tu crois qu’il voulait crever, lui ? »

La petite crapule faisait peine à voir. Mais Vielena était tellement en colère qu’elle ne pouvait pas avoir pitié. Cependant, elle se calma, lâcha l’homme et recula d’un pas.

« Alors… Pour qui travailles-tu ? »

Selden leva des yeux larmoyants vers la femme.

« J’peux pas vous l’dire. Ils me tueront ! »

Vielena eut un rire ironique mais cette fois, celui de ses hommes fit écho.

« Ca, je crois que ce n’est plus à l’ordre du jour… Parle !

- Je travaille pour l’Austausch. »

Vielena grimaça. On ne pouvait pas faire plus imprécis comme réponse. Malheureusement, les gringalets comme lui qui travaillaient pour l’Austausch n’en savait généralement guère plus sur leur propre organisation. Mais il fallait lui tirer les vers du nez, que ce malheureux épisode serve au moins à quelque chose.

« Qui est ton supérieur hiérarchique direct ?

- Je connais pas son nom. »

C’était crédible. Mais Vielena ne le crut pas. Elle attrapa encore une fois la chemise de l’homme et lui donna un coup de genou dans le ventre. Selden s’écroula par terre.

« Vla… Vladimir Massa… Massagorska. C’est son nom. » marmonna-t-il, le souffle coupé.

Vielena recula de quelques pas.

« Chef ? » fit l’un de ses hommes.

- La sentence pour ceux qui assassinent délibérément les membres de notre clan est la mort. De toute façon, on ne peut pas le laisser partir. Il en sait trop et la mort qui l’attends à Hochstadt est bien pire que celle-ci. »

La mort vint en effet avec une telle rapidité que Selden n’eut pas le temps de la voir venir. Vielena dégaina son arme, la pointa sur le criminel et tira avant qu’il n’ait eu le temps d’avoir peur. Elle rangea son arme et se détourna du cadavre en faisant signe à ses hommes de la suivre. Il ne fallait pas traîner. Le coup de feu allait alerter les autorités ou les chasseurs de prime.

« Paix à son âme. » marmonna Vielena.

C’était bien le minimum qu’elle pouvait faire pour éviter d’avoir un spectre ou une nouvelle goule sur les bras. En ces temps incertains, il valait mieux éviter ça.

Les Rebelles sortirent de la ruelle sombre, Vielena en tête. Et ils tombèrent nez à nez avec un homme. Enfin, Vielena tomba nez à nez avec un homme. Un type très grand, les bras ballants, avec une cigarette éteinte aux lèvres. Les hommes de Vielena durent s’arrêter brusquement derrière elle sous peine de la bousculer et bousculer Son Ombre… Et ben ça se faisait pas, foi de Rebelle.
Vielena se sentit mal à l’aise. Que faisait ce type tout seul, là ? Est-ce qu’il avait entendu ? Bien sûr qu’il avait entendu. Mais avait-il vu ?
Vielena devait parler, dire quelque chose. Sinon le type allait la trouver louche. Allez Vielena !

« Bonjour ! Belle soirée, n’est-ce pas ? »

*Woooooooooooooow ! Bravo Vielena ! Tu es maintenant la championne en titre pour mettre les pieds dans le plat ! Vraiment, félicitation. *

Vielena fit la sourde oreille à sa petite voix intérieure afin de garder toute sa contenance et sourire le plus naturellement du monde. Ce qui était très dur. Surtout après la mort du gamin… Vielena se sentit un peu coupable de jouer à ce jeu-là si peu de temps après sa mort.

Un coup de feu. La cigarette au bec, Stern se tourna instinctivement vers la provenance de ce bruit. Mais il ne bougea pas. On venait. Parfait, si en plus il n'avait même pas à bouger, que demander de plus. Il regretta quand même ce coup de feu. Ce soir particulièrement, il n'avait pas envie de faire grand chose, n'ayant pas spécialement la tête à ça. Ce n'était pas tant l'histoire des affiches, non, c'était simplement de la flemmardise. Une flemmardise profonde comme il lui en prenait parfois.
Mais sur cette place déserte, il ne pouvait pas faire comme si de rien n'était. Ça ne lui ressemblerait pas. D'un geste lent, il se remit d'aplomb sur ses jambes, et attendit simplement les arrivants. Mauvaise nouvelle à l'horizon, ils étaient plusieurs. Habituellement, David aurait dit "qu'importe ! Ce groupe est seul, nous nous sommes deux !" ce qui lui aurait valut une tape sur la tête. Mais là, il fallait être sérieux.
La jeune femme en tête s'arrêta devant lui, ainsi que les personnes qui la suivaient. Et au vu du soin que les suivants avaient prit pour le pas bousculer la dame, Stern en déduisit qu'elle était une sorte de chef dans le groupe et qu‘elle avait de l‘autorité. Flûte, il faudrait parler avec la femme. Il eut un désagréable frisson qui lui parcourut l’échine, et une grimace déforma son visage.
Il ferma les yeux et soupira. Quand il les ré-ouvrit, sa tête avait retrouvé son coté inexpressif habituel. Une femme, hein ? Il faudrait faire avec aujourd'hui. Elle lui souriait de ce que Stern qualifiait de « sourire innocent forcé » et lui demandait si la soirée était belle. Il haussa un sourcil et répondu simplement :

" Non, je ne la trouve pas spécialement belle... Mais peut-être assez belle pour mourir pour certain."

Il continua de fixer la jeune femme qui lui faisait face. Il tenta de prendre une bouffé à sa cigarette avant de se souvenir qu'elle était éteinte. Il eut un air désolé et soupira une nouvelle fois. Il releva finalement la tête et de son air habituellement inexpressif, mit nonchalamment ses mains dans ces poches et demanda calmement à la femme :

" Puis-je compter sur vous pour me dire jusqu'à quel point vous êtes impliqué dans ce coup de feu et savoir les motivations de vos actes ou bien dois-je trouver par moi-même ?"

Stern examina la situation. Le terrain, il le connaissait bien, c'était sa ville. Mais au vu de l'aisance avec laquelle ces gens se déplaçaient ici, ils devaient la connaître également. Égalité sur l'avantage du terrain. Et s'il n'avait pas l'avantage du nombre, il avait l'avantage de la taille. Un avantage bien maigre à son goût. Et surtout, plus que le groupe, ce qu'il craignait...

" Sachez que je préférai la première solution, n'ayant pas une grande envie de mourir moi-même en cette « belle » soirée... »

Il n'était pas question de mourir ce soir. Stern devait encore se venger du sale tour des affiches. Car plus qu'une volonté, ici, c'était bien une histoire de devoir.

«  Pas assez belle pour moi... Et j'ai d'autres occupations prévues ce soir. »

Bon ! Très bien, Vielena était tombée sur un type du genre grognon. Ça ne facilitait pas les choses. Il commençait par la contredire. Mince alors, elle n’était pas belle cette soirée ? Instinctivement, Vielena leva les yeux vers le ciel. Bon, certes, il y avait quelques nuages, mais ce n’était pas si mal. Et puis la température était douce, ça comptait, ça aussi, non ? Vielena fronça les sourcils, contrariée. C’était vrai que sa diversion manquait énormément de subtilité. Et alors ? Il aurait pu faire preuve d’indulgence et gober le morceau gentiment. Mais non, bien sûr que non, il fallait que môssieur la contredise.

Plus sérieusement, Vielena avait la désagréable impression de passer pour une imbécile. Ce qu’elle était, finalement, en parlant de la pluie et du beau temps alors qu’elle venait purement et simplement d’assassiner un homme. Elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle.

La jeune femme se tourna vers ses deux acolytes et leur parla à voix basse, bien que consciente que tout ce qu’elle dirait serait entendu.

« Allez chercher le gosse et ramenez-le à la maison. Il lui faudra des obsèques dignes de ce nom. »

Les deux hommes acquiescèrent en silence et partirent vers le point de départ de la course poursuite qui avait eu lieu dans les rues de Trockenstadt cet après-midi. Ils préférèrent ne pas paraître inquiets pour leur supérieure car ils savaient qu’elle n’aimait pas ça et que de toute façon, elle savait toujours très bien ce qu’elle faisait.

Oui, Vielena savait ce qu’elle faisait. L’homme avait dit qu’il ne voulait pas mourir, pas cette nuit, en tout cas et ça tombait à pique car Vielena n’avait pas non plus envie de mourir ou même de tuer qui que ce soit d’autre. Pour elle tuer n’était pas un plaisir, mais une nécessité. Surtout dans ce monde violent.

Vielena croisa les bras sous sa poitrine et regarda le type qui lui faisait face silencieusement. Notamment sa cigarette qui pendait lamentablement de sa bouche, toujours éteinte. Qu’est-ce qu’elle allait pouvoir répondre ? Elle regardait la cigarette remuer faiblement. Ah ! Cette maudite clope l’empêchait de se concentrer ! Vielena décroisa ses bras et se mit à fouiller dans les vastes poches de son manteau. Avec un peu de chance, elle l’avait toujours. Ah ! Oui ! Elle sortit de sa poche droite un vieux briquet tout rouillé et l’alluma. Très bien, il fonctionnait toujours. Elle leva les yeux vers l’homme.

« Vous voulez du feu ? »

Mais Vielena n’attendit pas de réponse avant de tendre le briquet pour allumer la cigarette. Cela l’agaçait trop. Bon, ça, c’était fait.

Maintenant, qu’est-ce que savait le bonhomme ? Il avait entendu le coup de feu et il savait qu’elle et ses hommes venaient de cette direction. Mais s’il demandait à quel point elle trempait là-dedans, c’était qu’il n’avait rien vu. Cependant, il avait de fort soupçon sur elle, sans quoi, il n’aurait pas posé la question. Il fallait faire avec ça. Pas question d’utiliser l’intimidation, le grand gaillard n’avait sans doute pas pour habitude d’être inquiété par des menaces. Pas question non plus de continuer sur la météo. Et pas question de dévoiler toute la vérité. Vielena ne préférait pas raconter à tout bout de champ qu’elle était une grosse huile de la Rébellion. Bon, qu’est-ce qu’il restait ? Partir en courant, c’était une bonne option, non ? Oui, mais Vielena n’en avait pas envie. Pas son style. Ça collait même pas à l’image qu’on avait d’elle alors…

La jeune femme croisa ses mains derrière son dos et se mit à faire les cent pas devant le gars.

« Vous pourriez faire un petit effort,tout de même. Comprenez-moi, c’est une situation délicate : si je ne suis pas responsable, je vous dis que je ne suis pas responsable. Mais si je suis responsable, et bien je vous dis toujours que je ne le suis pas. C’est évident, non ?
Mais comme je suis de bonne foi, je vais vous aider un peu…
Solution n°1 : Je suis une innocente passante que vous rencontrez au mauvais endroit et au mauvais moment. Si, si, c’est tout à fait plausible !
Solution n°2 : Je suis un assassin sanguinaire qui vient de tuer un enfant des rues. Moi, personnellement, je ne l’aime pas trop, cette solution-là. Et puis, c’est difficile à croire, non ? Si c’était ça, je vous aurez sans doute déjà tué.
Solution n°3 : L’un de mes compagnon est cet assassin sanguinaire. Mais bon, je serais drôlement déçue si vous pensez ça.
Solution n°4 : Une situation de légitime défense. Plausible aussi.
Solution n°5 : Une sorte de… règlement de compte. Ce sont des choses qui arrivent…
Solution n°6 : La solution n°4 et la solution n°5 à la fois.
Et solution n°7 : Je… Non, laissez tomber… »

Vielena sourit pour elle-même. Elle arrêta de faire les cents pas et se tourna vers l’homme. Ouais, cette fois-ci, c’était beaucoup mieux que le coup de la belle soirée… Mais le type pouvait se vexer, très mal le prendre. D’ailleurs, si Vielena avait été à sa place et qu’elle avait été de mauvaise humeur, elle aurait été furieuse. Mais bon…

Les deux hommes étaient partis, laissant seule la demoiselle avec lui. Bonne soirée en perspective : voilà qu'il était seul avec une femme. Néanmoins, cet acte appuya son hypothèse : elle devait bien leur être supérieure en quelque chose, ces deux hommes n'auraient sans doute pas obéit juste pour les beaux yeux de la dame. Qui plus est, s'il la laissait seule avec ce qu'il se considérait être, un témoin gênant, nul doute que les deux hommes devaient accorder une confiance démesurée à la dame. Ou alors, ils risquaient de subir les conséquences d'une désobéissance.
Et la thèse d'amis était absurde, la jeune femme aurait au moins ajouté un "s'il vous plaît". Non, Stern penchait plus pour organisation, clan ou simplement supérieur hiérarchique d’un certain métier. Un peu comme David et lui.
Rapidement, la jeune femme lui alluma sa cigarette. Bien qu'il aurait habituellement évité le geste, l'idée d'avoir une cigarette allumée lui parut suffisante pour le pas bouger d'un pouce. Il tira une bouffé et souffla de satisfaction, prenant garde à ne pas envoyer la fumée sur la demoiselle. Finalement, la soirée ne serait peut-être pas si mauvaise que ça. Il tira une nouvelle fois sur sa cigarette, et commença à faire quelques ronds de fumée avec, il était doué pour ça, malgré la difficulté que la cigarette donnait.
Les longs discourts ne l'intéressaient pas plus que ça ce soir, c'est ainsi qu'il écoutait d'une oreille distraite, en continuant ces ronds de fumée, plus ou moins réussi. En somme, il reteint qu'elle lui donnait quelques possibilités du fait pour expliquer sa présence ici. Le prenait-elle pour un idiot ou bien ? Qu'importe. Ce soir, le coté réfléchit primait sur le coté emporté, colérique.
Il semblait presque à présent ignorer la jeune femme. Continuant inlassablement ses ronds de fumée, il ne la regardait même plus. Finalement, ce fut un vent tiède et léger qui effaça ses dessins éphémères et qui le ramenait devant la jeune femme.
Il plaça sa cigarette sur le coté de la bouche, plaça ces mains dans les poches et regarda à terre, pour écouter plus attentivement la jeune femme. Sauf qu'elle ne parlait plus. Avait-elle finit ? Et bien, c'était à son tour à présent.

" Si je puis me permettre mademoiselle... Ou madame, peu m'importe, vous ne me semblez guère paniquée alors que vous revenez d'une rue où, il y a peu, une détonation a retentie. "

Il releva doucement la tête pour finalement croiser le regard de Vielena.

" Combien d'innocentes passantes peuvent se venter de rester indifférentes à un coup de feu ici et de n’y prêter absolument aucune attention ?
Ah ! Donc si on prend vos... Réponses pré-fabriquées, la une est absurde. Une personne innocente de ce coup de feu ne réagirais pas comme vous l'avez fait. Même si elle était habituée, elle aurait tout de même une lueur de panique.
La réponse deux... Voyons... « 

Il souffla alors que ces lèvres s'étiraient doucement formant un semblant de sourire. Un rire peut-être.

" Vous m'auriez tué en tant qu’assassin sanguinaire. Et un assassin sanguinaire n'aurait pas obéit si simplement à l'ordre que vous avez donné tout à l'heure. L'assassin sanguinaire m'aurait tué direct... Pas de témoins, et une victime de plus, que du positif. Et si vous me parler ainsi, c'est que vous voulez éviter de tuer.
Et vous séparer signifie que vous n'avez pas visiblement envie de vous débarrasser de moi. C'est plus simple d'attaquer à plusieurs."

Pffffou... Dire qu'il n'avait pas envie de parler ce soir. Voilà qu'il faisait étalage de toutes ces théories et doutes. C'était définitivement, une sale journée. Il regarda sur le coté, visiblement las de parler autant et soupira une nouvelle fois.

" Continuons... Nous en somme à la quatre... Une légitime défense... Ouais, ça se tient... Il n’empêche que ce n’est pas trop pour ça que je pencherais. Vous seriez plus nerveuse en cas de légitime défense directe.
Nous entamons la cinquième qui me semble fort plausible. Les obsèques donc vous avez parlez toute à l'heure montrerait qu'une personne qui vous est chère est mort. Ivre de vengeance, vous avez suivit la personne et l'avez tué. C'est possible, je connais ça.
La six... Dans une situation d'agression la personne décédée pourrait avoir pris une balle perdue, et vous avez voulu la venger. Possible aussi.
Mais vous connaissez la personne puisqu'il lui faut des obsèques dignes."

Il leva les yeux au ciel quelques minutes tentant dans le brouillard de sa tête de se souvenir de la suite...

" Et la sept... Définitivement, non... Ce n'est pas mon genre..."

Stern pensait qu'il avait plus parlé en cette soirée qu'en toute la semaine passée. Il faut dire qu'elle avait été calme, et qu'il n'y avait eu pas grand chose à dire. Et comme David était extrêmement doué pour tenir la conversation seul, les journées étaient assez animées sans que lui en rajoute.
Se redressant de sa haute taille, il se remit à faire quelques ronds de fumée... Un, deux... Puis il s'adressa de nouveau à la femme qui lui faisait face.

" Que pensez-vous de mon raisonnement, mam'zelle ?
Ah ! Évidement, j'oubliais... Il existe la possibilité qu'il y est des codes établis entre vous et vos hommes, ce qui rendrait toutes mes hypothèses caduques... "

Entre deux ronds de fumée il inspira et les dents serrées, le regard quelques minutes vide, il continua à voix basse.

" C'est possible..."

Reprenant son sérieux, son regard perdura sur Vielena, un regard sans aucune agressivité, juste calme et penseur.

" Mais vous êtes certaines de ne pas vouloir m'indiquer de suite ce qui s'est passé exactement ? Ça nous éviterait bien des peines, Mam'zelle."

Hé ! Mais il ne s’énervait pas ! Vielena vit avec satisfaction que le bonhomme acceptait, plus ou moins de bonne grâce, de se prêter au jeu. En plus, il l’appelait « mam’zelle ». Vielena trouvait que cela ne lui allait pas du tout, mais c’était bien ça qui était amusant. La jeune femme commença à éprouver de la sympathie pour le grand grognon.

Mais ne nous emballons pas. Vielena n’était pas encore tirée d’affaire. Elle écouta le raisonnement de l’homme après avoir regardé avec fascination les ronds de fumée que faisait l’homme. Elle s’était toujours demandé comment les fumeurs arrivaient à faire ça…

Quand le bonhomme eut fini son raisonnement, Vielena lui fit un large sourire, même si la situation s’y prêtait peu.

« Excellent, vraiment, excellent. Je n’aurais pas fait mieux. Mais permettez-moi de vous faire une ou deux réflexion sur quelques points… »

C’était vrai. Il avait presque tout juste. Presque.

« Je pense que la légitime défense est plus plausible que vous ne le croyez. Dans mon cas, je puis vous assurer que je ne serais pas plus nerveuse pour la légitime défense que pour la vengeance. Surtout après coup… Sur le moment, la nervosité est nécessaire. Enfin, c’est ce que je pense. Mais vous ne me connaissez pas, donc vous ne pouviez pas savoir. »

Vielena recula d’un pas et, tout en regardant en l’air, elle se mit à compter sur ses doigts.

« Donc… Nous retenons la solution 5 et la solution 6. La solution 7… Pas votre genre, dites-vous ? Hin ! Hin ! Trèèèèèèèèèèèèèèèèèès intéressant… »

Vielena jeta un regard de biais à l’homme en plissant les yeux d’un air énigmatique. Bien sûr, l’homme ne pouvait pas se douter de l’absurdité qu’elle allait dire. Mais Vielena laissait le bonhomme à son imagination…

En attendant, elle devait régler ce petit problème de témoin… Il s’agissait de savoir s’il allait être gênant. Tout dépendait de qui il était. En tout cas, il avait l’air d’un habitué des intrigues du coin. Soit c’était un flic, soit un chasseur de prime, soit un assassin ou membre de clan… Ce n’était pas un rebelle, en tout cas.

Vielena croisa les bras sur sa poitrine. Il fallait être fixé.

« Si je vous disais que c’est la sixième solution, votre curiosité serait-elle satisfaite ? Et que feriez-vous de cette information ? »

Vielena se montrait honnête. Si le gars mentait, elle le prendrait mal… Elle était peut-être une crapule, mais elle-même n’aimait pas les crapules qui ne se battaient pas à la loyale. Même si la loyauté se faisait extrêmement rare, ces derniers temps.

Stern regarda la jeune femme passivement, pensant que c'était dommage, la donzelle continuait son p'tit manège. Il se demandait si ça allait encore durer longtemps, il n'avait pas que ça à faire bon sang.
Dieu que c'était long, elle n'arrêterait donc jamais de parler ? Encore qu'il se sentait étrangement... Pas à l'aise, évidement, c'était une femme. Mais c'était moins pire qu'habituellement. La cigarette peut-être ? Ou peut-être l'attitude légèrement masculine qui semblait émaner de la jeune femme. Peu lui importait en fait. Il avait réussi à garder un semblant de calme, c'était déjà pas mal.
Mais le petit jeu commençait à le lasser. Comme pas mal de chose en fait. Surtout ce "trèèèèès intéressant" dont il se serait bien passé. Il avait plus l'impression qu'elle se fichait de lui qu'autre chose. C'était pas spécialement fait pour lui plaire. Et cette façon de compter sur ces doigts...
Non, définitivement, il ne l'aimait pas cette bonne femme à première vue. N'aimait pas, mais au moins, il ne la fuyait pas. Son visage refléta quelques secondes un certain mécontentement, mais il reprit vite l'expression neutre du début. Il fallait qu'il sache au moins ce qui s'était passé. Et ce n'était certainement pas en jouant la force qu'il aurait quelque réponse.
Non seulement, il n'avait pas envie d'utiliser la force, mais en plus, c'était quand même une femme en face.
À ne pas oublier de prendre en compte.
Enfin, retournons au petit jeu de la miss en face. Elle lui disait finalement que c'était la réponse six.

* Biiien, mais j'vais pas aller loin avec ça.*

Il souffla. A première vue, il pensait que la jeune femme tentait de sonder en lui, savoir qui il était réellement pour cette ville. Après tout, toujours se méfier de quelqu'un qui arrive à avoir tant de calme après un coup de feu.

" Je dirais que j'aurais tendance à ne pas trouver ça suffisant."

Ne pas en dire trop non plus. Il leva un sourcil et un sourire très légers se marqua sur son visage.

" Et je dirais que vous ne mentez pas. Vous venez en quelques mots de me dire qu'il y a au moins un mort. Pas une seconde vous tentez de justifier ce coup de feu autrement que par l'utilisation contre une personne."

Il prit une nouvelle et dernière bouffée de cigarette avant de la jeter à terre et de l'écraser du pied sans même prendre la peine de regarder. Il était bien trop occupé à ne pas lâcher la jeune femme des yeux.

" Ça n'aurait pas été plus simple de me dire que vous vous amusiez à tirer sur des bouteilles de bière ? C'est un jeu courant par ici, et d'ici que le cadavre soit trouvé, vous seriez déjà loin. Mais sans doute pensiez vous que ce ne serait que mieux reculer pour plonger… Ouii... J'aurais vite fait le rapprochement... Sauf si vous m'éliminez, mais on va laisser cette solution de coté, voulez-vous ?"

Bon, elle jouait franc jeu la p'tite dame. Autant en faire autant.

" Bon, je vais me montrer bon joueur, contre l’information « réponse 6 » qui me met un peu sur la voie d’une hypothétique réponse, je vais moi aussi vous dire une chose sur moi. J'attends de vous que vous m'aiguillez un peu encore vers la vérité, là... je reste sur ma fin."

Stern tentait en quelques instants de déterminer s'il ne se mettait pas en danger. Bah, après tout... L'interlocutrice ne mentait pas et prenait des risques en dévoilant, même de manière très floue, les raisons d’un crime. Autant se lancer.

" Je ne travaille pas pour la loi."

Voilà, c'était dit. Stern se rendait compte qu'il se lançait dans un jeu d'où il ne sortirait pas forcement vainqueur.

Evidemment, le grand dadais voulait en savoir plus. L’air de rien, il était drôlement curieux. Ce n’était pas tout le monde qui cherchait à en savoir plus quand elle disait qu’elle venait de tuer un type de sang-froid. La situation était très insatisfaisante pour Vielena. Elle ne connaissait pas ce type et elle n’avait pas l’intention de lui déballer toute sa vie. Elle voulait juste se débarrasser d’un gars trop curieux sans pour autant le zigouiller. Plus elle lui parlait, plus elle en révélait, plus elle risquait de voir arriver les autorités, plus elle mettait sa vie en danger et peut-être bien aussi celle du type. Tiens… Ça c’était une donnée à exploiter.
En revanche, le fait qu’il ne travaillait pas pour la loi, ça ne l’aidait pas beaucoup, ça voulait tout dire et rien à la fois.

Vielena soupira et mis ses poings sur ses hanches en reculant d’un pas. Elle examina le bonhomme de la tête aux pieds et fit une petite moue. Grand, costaud , bonne tête, mais un peu lugubre, tout cela, elle l’avait déjà remarqué. C’était un type ronchon, ou du moins était-il de mauvaise humeur. Il avait l’air difficile à vivre.

*Bienvenue au club…*

Il avait l’air d’être du genre à ne pas aimer qu’on lui cherche des noises et pourtant, il se fourrait actuellement en plein dans les ennuis. Et bien… Oui, le petit jeu commençait à agacer également Vielena. Le type allait réussir à lui communiquer sa mauvaise humeur. Déjà que la mort de l’un de ses camarades lui pesait…

« Vous parlez d’une information… Vous ne travaillez pas pour la loi. Savez-vous que c’est la cas de la majorité de la population des Schwefelsländer ? »

Vielena secoua la tête avec mauvaise humeur.

« Mais qu’est-ce que vous cherchez au juste ? Qu’est-ce que ça peux vous faire après tout que j’ai tué un type ? Vous avez peur que ce soit un de vos proches ? Et ben vous avez qu’à aller le voir, il risque pas de bouger avant un moment. Et puis vous devriez savoir qu’à vouloir trop en savoir, on se fait des ennemis supplémentaires. Et avoir une bande de crapule à vos trousse à longueur de journée pour essayer de vous faire la peau, je peux vous assurer que ça finit par être fatiguant. »

Vielena croisa les bras sur sa poitrine et toisa l’homme un instant.

« C’est tout ce que j’ai à vous dire. Sur ce, bonne chance ! »

Vielena fit mine de partir, tournant ostensiblement le dos au bonhomme. C’était plutôt culotté, mais Vielena préférait prendre ce risque plutôt que de se montrer menaçante. Elle espéra qu’il ne s’acharnerait pas…

Stern eut presque rit à la menace de Vielena à propos de la bande de crapules qui viendrait. Si ce n'est qu'il ne riait jamais. Il se sut dire pourquoi, mais de voir la jeune femme lui montrer clairement de la mauvaise humeur lui enleva la sienne, de mauvaise humeur. Il souriait presque, ça, c'était déjà pas mal. Réellement, il n'avait pas peur de le bande de crapule. Non pas qu'il se sentait plus fort qu'un groupe entier, non... Mais tous simplement parce que son sort et son futur ne l'intéressait pas vraiment.
Il y avait bien eut quelques bohèmes qui s'étaient risquées à vouloir lui lire l'avenir... Maintenant, ces dernières s'étaient promises de lui lancer sorts et maléfices à chaque fois qu'elle le verrait. Même David n'avait jamais vraiment sut ce qui s'était passé et il ne s'était pas risqué à demander.
Aucune importance.
Le fait est que la belle s'en allait, laissant sur les bras de Stern un bien désagréable cadavre. Il regarda à terre, ce qu'il allait faire, ça sortait complètement de ces habitues. Mais la fin justifiait les moyens, non ?

" Et si je vous invitais prendre un verre ?"

Ah ça, pour sortir de ses habitudes...

" Je vous dirais qui je suis, non pas que cela vous intéresse vraiment, mais peut-être comprendrez vous mieux mes intentions quand je vous demande ce qui s'est passé. Je connais un bar dans les environs qui nous permettra de discuter en toute tranquillité. Ah cette heure, les gens sont tous ivres..."

Car, Stern le savait, ce meurtre là serait du boulot en plus. Non pas qu'ils croulent sous les boulots avec David en ce moment, mais étant partisan du moindre effort, Stern n'avait qu'une envie : éviter un travail en plus. Et puis, il n'était pas spécialement fauché ces temps ci...
Après cela, Stern attendit une réponse, qu'il espérait fortement positive, son regard dégageant son air habituellement neutre. Neutre, c'était mieux que rien. Ni agressif, ni moqueur, juste neutre et sérieux.
Car non, non, il ne plaisantait pas. Ah tient ! D'un coup, il ajouta :

" Je n'ai nullement l'intention de vous saouler pour avoir les réponses à mes questions. Et c'est moi qui offre..."

De toute façon, la dame avait une apparence à plutôt bien supporter l'alcool... Plutôt grande, plutôt carrée d'épaules... Oui, Stern en conclut que ses économies seraient entièrement épuisées avant même que la jeune femme ne soit ne serait-ce que "joyeuse"... Et lui serait peut-être en train de dégriser dans un abreuvoir, allez savoir...

La proposition du grand type parut louche à Vielena. Oui, louche. Vous en connaissez beaucoup, vous, des types qui invitent à boire un assassin rencontré au hasard des rues de Trockenstadt ? Finalement, peut-être que ce type croyait que Vielena était tueur à gage et qu’il souhaiter profiter de ses « services ». Oui, maintenant que Vielena repensait à leur conversation, ça se tenait. Mais dans ce cas, il serait drôlement déçu d’apprendre qu’elle ne vendait pas ses services. Mais tout cela n’était qu’une hypothèse, bien sûr.

Alors, allait-elle refuser, ou bien accepter ?

D’un côté, elle pensait qu’il valait vraiment mieux qu’elle lâche l’affaire et qu’elle parte. D’un autre côté, ce type avait l’air assez tenace. Lui n’avait pas envie de lâcher l’affaire. Et puis on ne lui offrait pas un verre tous les jours.

Vielena se retourna et haussa les épaules.

« Tant que c’est vous qui payez, pourquoi pas… »

Bien sûr, elle ne craignait pas de se faire soûler, ça non. Mais qui sait, peut-être qu’il voulait l’amener dans un guet-apens…
Allez ! Vielena prenait le risque ! Même si c’était un guet-apens, ça la défoulerait…

« Je vous suis… Pas de geste brusque. »

Oui, quand même…

[Oui, je sais, c’est court. ;_ ; Mais j’avais juste à accepter de prendre un verre…]

[ C'est court ? Et Alors ? ]

Stern garda à son habitude une passivité sans borne. Bien qu'intérieurement, il ne se sentait pas bien du tout. Noeuds dans la gorges, noeuds dans l'estomac, dans les intestins... En fait, tout ce qui pouvait faire des noeuds chez lui en faisait. Mais au moins, extérieurement, il restait stoïque.

" Tant que vous ne dépassez pas mon budget, c'est d'accord pour que je paye."

Enfin, il fit lentement demi tours, ne répondant pas aux dernières paroles de la jeune femme... Qu'il trouvait parfaitement justifiées ! En effet, il invitait déjà quelqu'un, c'était une chose assez hors du commun pour lui et assez louche... Mais inviter une demoiselle pour parler tranquillement d'un meurtre autour d'un verre, oui, il concevait facilement que cela pouvait prêter à suspicion. Il haussa simplement ses épaules et commença à marcher dans les rues désertes de la ville.
Enfin les deux personnages virent le saloon... Qui étaient, ça s'entendait, bien animé. Ce n'était même pas la peine de tendre l'oreille pour entendre injures, cris, fracassemenst en tout genre et autres charmant bruit qu'accompagne une bagarre générale.
Stern soupira en disant lentement :

" Ici, on ne nous remarquera pas et nous pourrons discuter en toute tranquillité."

Ah oui ! Car si il y avait une chose qu'il ne supporterais pas ce soir, c'était bien qu'on le remarque en compagnie d'une femme. Aussi masculine fut-elle. Il poussa les portes pour vite s'apercevoir qu'en effet, il y avait de l'ambiance. Normal à cette heure ci. Le grand balaya la salle des yeux et trouva une petite table dans un coin, à l'ombre d'un escalier. Parfait ! Il indiqua d'un geste lent la table à la jeune femme, surveillant bien ces gestes. Il savait ce que c'était que de ce méfier de quelqu'un, ainsi portait-il une grande attention à ne pas montrer une quelque conque animosité envers la jeune femme. Il lui demanda :

" Qu'est-ce que vous voulez boire ? Je vais les chercher au bar pendant que vous irez vous installer... Ah moins que vous ne préféreriez venir pour vous assurer que je ne prépare rien de suspect ?"

Le Saloon se présentait comme une énorme salle. Au fond de la salle se trouvait le bar où l'on venait retirer ces consommations (à défauts de serveurs trop occupé ce soir), il y avait un étage où pouvait séjourner des visiteurs (ou avoir d'autres occupations, tant qu'il y avait l'argent, aucun détails n'étaient demandé...) et des tables de différentes tailles, toujours rondes, qui ce soir servait de d'amortisseur à chutes et pour les plus petites, de massue. Personne ne remarqua l'arrivée de deux personnes en plus, le patron, au loin, était occupé à ranger et abriter ces bouteilles. Car en effet, il régnait une ambiance de chaos la plus totale, les bouteilles servant à frapper, les tabourets à cogner et les armes à feu à... Tirer... Mais dans le vide. Les gens ce soir s'en sortirait avec quoi... un bon mal de crâne. (Les bouteilles était réputée fine ici... Le patron y faisait toujours attention)
Stern avait bien proposer à Vielena de venir, mais au fond... il préférait qu'elle ne vienne pas. Le patron se ferait des idée à coup sûr.
Enfin, là, il ne pouvait rien faire que d'attendre simplement une réponse.

" Alors ?"

[C'est mieux : ]

Vielena suivit le grand type dans un saloon dans lequel avait lieu une belle bagarre. Pour sûr, là-dedans, on ne ferait pas attention à eux… Le grand type respecta à la lettre l’ordre de Vielena. Il ne faisait pas le moindre mouvement brusque. Mais ça paraissait presque être dans sa nature. La jeune femme entra dans le saloon à la suite de l’homme. Aussitôt, elle se baissa pour éviter une chaise qui alla s’écraser contre le mur derrière elle. Décidément, parler cadavre autour d’un verre dans un saloon bondé de poivrot belliqueux en plein milieu d’une baston générale, il y avait plus confortable comme situation. Finalement, Vielena se demanda si le type avait eu une bonne idée. Discuter calmement allait être un véritable défi. Peut-être qu’il ne souhaitait pas qu’on le remarque avec Vielena parce qu’il était marié, ou quelque chose comme ça. La Rebelle grimaça en essayant d’imaginer quel genre de femme pouvait être assez patiente pour épouser un homme aussi grincheux.

Vielena haussa les épaules et soupira en réponse à la question de l’inconnu.

« Au point où j’en suis… Allez-y. Je veux une bière. Une forte. »

De toute façon, Vielena ne craignait pas trop tout ce qui était poison, somnifère, drogues… Elle avait une constitution hors du commun et sa résistance peu commune avait été renforcée par la moitié artificielle de son corps. Finalement, cela n’avait pas été une si mauvaise idée d’aller écraser la moitié de son squelette, même si l’entretien des ses membres mécaniques était lourd et fatiguant.

Vielena se fraya un chemin entre les clients fort occupés du saloon pour rejoindre la table sous l’escalier indiquée par son glacial cavalier. Elle s’assit sur une chaise et s’accouda à la table.
Et si elle se cassait, là, tout de suite ? La mauvaise humeur de Vielena s’envola aussitôt lorsqu’elle imagina la tête du grand type, revenant vers la table avec les verres en main et se rendant compte qu’elle venait de déserter… Non, en fait, elle n’avait pas envie de se casser mais plutôt de se transformer en petite souris. Tentée de partir se cacher dans un coin de la pièce pour lui faire cette mauvaise blague, Vielena s’efforça de rester clouée sur sa chaise et de patienter. Déjà qu’il ne semblait pas l’estimer beaucoup… Et puis Vielena allait avoir une sacrée réputation, après ça. Enfin, ce n’était pas comme si elle s’en souciait…
Non, non, c’était trop pueril.

La jeune femme renonça à sa plaisanterie de mauvais goût et donna un coup de pied dans le derrière d’un type qui allait s’écraser sur elle. L’alcolique repartit de plus belle dans la bagarre et Vielena attendit.

Stern regarda la jeune femme partir vers la table, sans trop avoir du mal à se frayer un chemin. D'ailleurs, à voir cette étonnante facilité, il se demandait s'il ne jouait pas coup de chance sur coup de chance. Après tout... On ne savait jamais sur quoi un pouvait tomber. Le gaillard n'était pas spécialement contre la... diversité. Il trouvait même amusant qu'un p'tit bout de femme puisse mettre une raclé à un gars énorme juste parce qu'elle était différente d'un niveau constitutionnel. Mais ça pouvait mal jouer aussi. Il y avait des chances que la jeune femme qui venait de s'asseoir ne soit pas si "simple" que ça.
C'est avec toutes ces pensées qu'il s'approcha du comptoir, l'air pensif. Il s'accouda dessus, se demandant s'il ne valait pas mieux laisser tomber, aller chercher de l'aide ou s'implement partir ou s’il fallait jouer le jeu jusqu’aux bout. Non, la demoiselle n'apprécierait sans doute pas cet abandon...
Le barman, lui, continuait de ranger ces bouteilles avec précipitation. Il était habitué aux bagarres, ainsi avait-il fait renforcer le bar, là où il cachait les bouteilles. Au bout d'un moment, quand ces "chéries" étaient à l'abri, le visage rouge d'effort, il s'intéressa enfin à son client qui avait observé passivement ce rangement exprès.

" Et bin mon vieux ! C'est... C'est pas souvent qu'on te voit ici !"

Stern pris un moment de réflexion avant d'ajouter calmement :

" C'est trop agité ici."

Le barman regarda son client, attendant une commande qui ne venait pas. Réellement, Stern continuait à se demander s'il ne jouait pas trop dangereux. Il n'était pas spécialement habitué à mesurer parfaitement les risques qu'il prenait normalement... Mais ce soir... Bon, autant jouer franc jeu. Il ne savait pas exactement où ça le mènerait, il n'avait pas de tactique précise, ni d'échappatoire si ça tournait mal, mais... Ce n'était pas son genre de fuir. Alors autant jouer franc jeu.

" Une bière, et bien forte.".

Le patron eu un air presque de pitié.

" Tu sais ce qu'il se passe quand tu bois, pourtant...
- Et pas de discutions !" Lança Stern, une pointe d'énervement dans sa voix.

Enfin, on lui servit la bière qu'il emmena vers la table. Il évita divers projectiles, saisit une bouteille en vol qu'il écrasa sur la tête de quelqu'un qui était à coté, et arriva à sa table sans renverser une goutte, juste un peu de mousse perdue, tout au plus... Comme il l'espérait, il y avait trop d'animation pour que qui que ce soit remarque avec qui il était. Il tendit la bière vers la jeune femme en disant

" Tenez."

Maintenant, il lui fallait être aimable. Ce qu'il allait demander à la jeune femme, ce n'était pas évident. Elle avait toutes les raisons de se méfier, toutes les raisons de partir (il s’étonna d’ailleurs qu’elle ne l’ait pas fait...) mais elle était restée. Il devait se le mettre dans sa cervelle et se montrer aimable. Il respira un grand coup, se disant qu'il allait pas mal en dire sur lui, et que lui aussi jouait gros quelque part. Puis enfin, il se lança.

" Je bosse dans cette ville... Comme homme à tout faire en quelque sorte. Des fois, je suis engagé pour chercher quelqu'un, pour trouver quelque chose... Des fois, pour protéger... Et rarement, nous somme engagé pour enquêter sur des affaires... Je sais ce qu'il va se passer. Demain, le cadavre que vous avez laissé dans la rue sera retrouvé par une grand-mère qui criera de terreur... Le shérif arrivera et comme il n'aura rien, il m'enverra l'affaire..."

Pourquoi une grand-mère ? Parce que ce serait une grand-mère qui le signalerait au shérif. Il ne fallait pas comprendre pourquoi, mais Stern avait décidé que ce serait une grand-mère. Mais à part ce détail, oui, il y aurait quelque chance que l’histoire se passe comme ça. Il soupira avant de reprendre :

" Et je n'ai pas spécialement envie de "chasser"."

Les affaires avaient bien roulé ces derniers temps. Les poches, sans être pleine, avaient encore quelques ressources disponibles... Bref, Stern se voyait bien passer quelques jours tranquilles.

" Pour être franc, mon coéquipier me dit paresseux. Et je ne tiens pas à démentir cette réputation plutôt confortable pour le moment."

Jamais il n'aurait admit lui-même qu'il était paresseux, il disait toujours "on dit que, mon coéquipier dit que"... mais il n'y aurait pas un Stern qui dirait " je suis paresseux..."

" Vous ne semblez pas être quelqu'un qui tue de sang froid un pauvre type qui vous regard de travers, sinon, je serais déjà mort, je crois. Et quand je suis allé chercher votre bière, vous seriez partie. Alors, j'aimerais savoir ce qui vous a emmené à vous salir les mains ce soir."

Stern resta un petit moment silencieux, laissant un peu le temps à Vielena d'assimiler les quelques paroles. C'était déjà pas mal pour lui de parler autant. Ce temps lui servait aussi de repos entre deux tirades. Il posa ces coudes sur la table, regarda un instant sur les coté, voir que personne n'épiait. Si qui que ce soit entendait cette conversation, ça allait chauffer pour lui. Mais à sa plus grande satisfaction, la bagarre s'amplifiait émettant un raffut tel qu'un sourd pourrait l'entendre et aller crier au miracle. Le coin était juste suffisamment à l'écart pour permettre des messes-basse que ne serait entendu que par les personnes autour de la table.

" Je sais que ma requête doit vous sembler bien étrange et moi-même je ne crois pas en la réussite de cette faveur. Tout ce que je peux vous dire, c'est que je n'ai pas envie de vous traquer... Comme je n'ai pas envie de remuer le petit doigt pour cette affaire. Mais...

Je ne peux pas vous laisser partir sans savoir votre version des faits."

Stern repris une autre inspiration dans ce bar enfumé et enivré par l'alcool qui s'étendait sur le parquet.

" Ce n'est pas mon genre."

Vielena avait regardé revenir Stern avec une certaine satisfaction. Non, il ne faut pas exagérer, non plus : elle était heureuse de voir sa bière arriver entre les mains du géant. Celui-ci fit glisser le verre jusqu’à elle et s’installa en face, à la table. Vielena le remercia d’un simple signe de tête et commença à boire en écoutant ce qu’il avait à dire. Il lui expliqua sa situation d’une difficulté insondable : bientôt, le cadavre allait être découvert, le shérif prévenu, on allait lui faire passer l’affaire et il allait devoir… travailler ! Mon Dieu !
Vielena qui était en train de s’agiter l’arrière-train vingt-quatre heures sur vingt-quatre, prise en sandwich entre son garage, ses manuscrits et sa rébellion, avec parfois quelques assassins sur le dos (comme cela avait été le cas ce jour-là), éclata d’un rire sardonique. Ce type était quand même gonflé…

« Alors là… Je me demande pourquoi j’ai très envie de vous dire que ce n’est pas mon problème et que vous pouvez vous démerder tout seul… »

Mais Vielena repartit d’un grand éclat de rire. Il fallait dire que c’était la première fois qu’elle voyait une telle situation…
Qui peut prétendre avoir vu un enquêteur interpeller un assassin pour lui offrir un verre en lui expliquant qu’il voudrait qu’il lui donne gentiment sa version des faits pour ne pas avoir trop de travail.

« D’ailleurs, si j’étais à votre place, c’est très précisément ce que je dirais au shérif : démerdez-vous. C’est son travail, n’est-ce pas ? Pas le votre… »

Vielena secoua la tête d’un air incrédule. Mais que faisait-elle là, en train de discuter encore avec ce type qui bossait vaguement pour le shérif ?
Elle avala une nouvelle gorgé de bière.
Et elle se rappela que le type était du genre collant et grognon.

« Mais évidemment… Ce n’est pas votre genre. Si j’ai bien compris, vous ne me lâcherez pas tant que je ne vous aurai pas tout raconté. Me reste alors deux solution : tout raconter (ou presque) ou vous zigouiller. Aucune des deux solutions ne me plaît. »

Vielena se mit à faire glisser son index sur le bord de son verre pensivement. Comment se débarrasser du type sans causer de problème à la rébellion ?

« Je vais vous raconter une histoire. Si elle vous plait, tout le monde rentre dans ses pénates et on en reparle plus. Si elle ne vous plait pas… Et bien je vous assommerais et vous n’aurez qu’à chercher tout seul les informations qui vous manque. »

Vielena cessa de jouer avec son verre et but une gorgée avant de commencer à raconter sa mésaventure comme on racontait un conte de fée :

« Je suis le genre de personne à se faire des ennemis facilement. Donc, j’ai des ennemis. Certains veulent ma peau et m’envoient des assassins pour me passer le bonjour. C’est ce qui s’est passé cet après-midi. Un gars, presque en pleine foule, a sorti son flingue et a tiré. Mais il ne devait pas être franchement doué, il a raté sa cible. Et il a tué un gamin, un ami à moi. Je sais que c’était moi qu’il voulait car ceux qui m’accompagnaient n’avaient pas le… statut qu’il faut pour se faire ce genre d’ennemi. Mais comprenez ma situation : le gars qui avait tiré voulait me tuer et avait tué mon ami. Pouvais-je le laisser fuir ? Non, bien sûr que non. Moi et les deux hommes que vous avez vus tout à l’heure, nous l’avons poursuivi. Et lorsque nous avons réussi à remettre la main sur lui… Je l’ai tué. »

Elle but encore une gorgée de bière, comme pour ponctuer son récit.

« L’histoire vous plait ? »

Vielena marqua une pause.

« … Que je sache si je vous assomme ou pas… » ajouta-t-elle avec un sourire.